La crise du sens : quand l’utilité s’évapore dans le désenchantement du monde

La crise du sens : quand l’utilité s’évapore dans le désenchantement du monde

La crise dite du COVID-19 a causé ou révélé de nombreux dommages indirects. L’usure psychologique en fait partie et elle prend différentes formes dans les champs de l’entreprise. L’incertitude des lendemains possibles, l’absence d’échéances crédibles et les perspectives floues on contribué à ébranler le « pacte » du « purpose washing »* qui s’agitait depuis quelques années entre « partenaires sociaux » tel un canasson de bois devant les murs de Troie.

De la raison d’être à la question du devenir

La loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) avait cela d’enthousiasmant et de rassurant qu’elle permettait à beaucoup de sociétés de communiquer en reprenant les codes du système auto-destructeur de la consommation libérale en lui passant une couche de vernis innovant et purifiant.


On se plaisait alors à rappeler qu’une entreprise, bien plus qu’une simple personne morale, était un être social parce qu’elle pouvait avoir « une raison d’être« . Une mission.


Peut-on aujourd’hui encore prétendre que les raisons d’être dépassent l’accumulation de richesses à très court terme… malgré la dévalorisation desdites richesses par le processus de thésaurisation lui-même ?


Les dernières années et les dernières semaines nous permettent d’en douter….


Ici, nous reprenons notre souffle : les premières lignes de cet article avaient été posées et oubliées au début de mars 2021. A l’entrée du doux mois d’août 2022, le délire semblait atteindre des strates insoupçonnées :

 

Dernière en date, une « marque » (comme on appelle désormais ces pseudo-personnes morales) nous crachait sa morgue extravagante comme un picador plante sa lame en souriant à l’animal. Un défilé de mode, dans un désert d’une planète en feu, une route construite pour l’évènement, des dizaines de camions pour remplir une piscine éphémère, des jets privés pour permettre à quelques individus d’assister à ce spectacle dégoulinant de mépris.


A ce stade, on ne pouvait plus parler de respect. On ne pouvait plus parler d’humanité. Rien ne pouvait défendre ni même expliquer un tel carnage. La violence y était multiple, sur tous les fronts, sur plusieurs temporalités. Agression perverse, suicide collectif, harcèlement vicieux… bref, tout allait bien au-delà de l’incompréhension et d’un seuil de douleur conscient.


Pourtant, nous nous y sommes encore habitués, nous en avons fait notre environnement, creusant encore plus le fossé de la déconnexion au vivant.


Comment faisaient tous les complices de cette mascarade pour nourrir la bête immonde ? Nous ne savons même pas si les neurosciences ou l’éthologie peuvent expliquer cela.


Leur temporalité ne peut suffire. Analyser ne peut suffire. Heureusement il y a l’engagement. Il y a encore l’engagement. Interrogeons-le.


Que reste-t-il à l’engagement ?

L’espoir fait vivre. Face à ce constat de 2022, nous pourrions penser qu’il n’y a plus d’ambition de vivre et que nous avons choisi collectivement de danser sur les braises de notre bûcher. Cette voie a été empruntée peu ou prou par nombre de nos congénères. Elle nourrit l’inconscient et torture nos consciences.


Mais plus que l’espoir, c’est l’engagement qui fait vivre. Il est le sens en marche. Il est le sens qui se cherche.


De l’utilitarisme à l’écologie entrepreneuriale

Si en 2023, nous nous autorisons à reprendre ce billet, ce n’est pas parce que les aberrations ont cessé. Au contraire. Ce n’est pas non plus parce que les médias « positifs », « encourageants » ou « mobilisants » ce sont multipliés. C’est pourtant vrai… mais cela ne donne pas forcément l’impression que l’apaisement constructif est à l’honneur.


Si nous nos autorisons ce troisième acte d’une chronique éberluée, c’est que les efficaces sont de plus en plus nombreux, qu’ils sont de plus en plus efficaces et que les tentatives de récupération de la bête immonde offrent désormais une porosité importante.


Nous nous sommes rendus cette année au So Good Festival à Marseille. Dans un rassemblement multicolore d’un éventail d’acteurs des transitions, nous avons eu la joie d’y voir du grand écart sociétal, de la dissonance cognitive, mais surtout cette porosité constructive porteuse d’espérance.


Certes il y a eu cette scène sur le plateau d’un Pacte pour Demain (à écouter en bas de page**) où l’on nous rappelle le vice du plastique recyclé quand passe en arrière plan un troupeau de visiteurs affublé de goodies en plastique offerts par le sponsor de l’émission.


Certes, ça respirait l’impréparation logistique à l’image de notre société toute entière face au défi climatique.


Mais il y avait quelque chose de bien plus important, ce qui a fait le terreau de ce billet : une recherche de sens et parfois même du sens retrouvé, voire mieux : de l’inspiration.

L’engagement est-il désormais une lutte ?

Pendant longtemps, on a vu le concept de lutte comme un « effort contre », comme une démarche d’opposition énergivore. Elle est aussi et surtout une action incroyablement énergisante.


Pendant le So Good Festival, parmi les personnes les plus rayonnantes de ce rassemblement, il y avait des activistes. Dans notre imaginaire, ce sont des gens qui sacrifient leur existence pour une cause. Alors, au regard de l’état du monde qu’on nous présente comme toujours plus anxiogène, comment se fait-il qu’ils semblaient portés par autant d’enthousiasme, de joie et d’énergie ?


Parce que leurs luttes ont du sens. Parce qu’ils remportent ces luttes. Parce que dans l’action l’impossible ne l’est plus pour eux. Ils savent très bien qu’en étant militants, ils exercent pleinement leur citoyenneté et leur humanité. Ils sont vivants. Ils sont avec le vivant.


Dans la simplicité, ils ont rappelé que l’espoir n’est pas quelque chose qui se garde en tête mais quelque chose qui se vit, qui se nourrit et qui s’enrichit. Ils nous ont montré qu’à une poignée de gens justes portés par des idéaux justes, on renverse des goliaths cyniques. Oui, comme dans les contes, comme dans les films où les gentils gagnent.


Surtout, ces activistes, quand ils remportent des luttes locales, ont un impact global démultiplicateur : ils recolorent notre imaginaire. Ils nous montrent que c’est possible, que c’est accessible. Ils nous rappellent que la plupart des luttes sont pacifiques. Ils nous rappellent que les vraies luttes sont systématiquement constructives, qu’elles portent en elles les alternatives joyeuses.


Ils nous rappellent aussi que la première lutte à mener est justement celle-là : réenchanter le monde, réenchanter notre monde intérieur pour ne pas être les spectateurs consumés d’un mauvais film catastrophe.


Le premier pouvoir que chacun de nous possède est celui de modeler l’imaginaire dans lequel on vit. C’est ainsi que nous créons notre réalité. Choisissons bien de quoi nous la composons.


*purpose washing : le fait qu’une entreprise communique sur un engagement sans qu’aucune action ne soit mise en place pour y remédier


**l’émission à écouter avec des lunettes en plastique posées sur les oreilles


 

Bonus : les entreprises « à mission » que nous évoquions aux premières notes de ce billet sont aujourd’hui plus nombreuses. Ce qui compte, c’est surtout que certaines se prennent au jeu. Elles n’ont comme personne de solutions miracle, mais parfois elles essaient, elles cherchent, elles tâtonnent. Justement, elles ont besoin d’être accompagnées. Dans ce domaine, l’expérience et la vigilance des activistes sont d’autant plus important pour que les transitions nous mènent à des futurs désirables.